La littérature à la découpe

Atelier de pimpage et de customisation du livre 404 par son auteure Fanny Quémpebt
Attention âmes sensibles, il va être question ici de découper les livres, voire d’écrire et même d’en colorier les pages. Bref, de livres enrichis par la lecteurice-même. C’est presque une tradition au Nouvel Attila que l’atelier de collage. Soit contrainte logistique bêtasse pour économiser sur les frais du distributeur, soit volonté de l’auteur_e qui se révèle plasticien_ne à ses heures.
S’il ne faut jamais exclure la part enfantine du plaisir de colorier tout à trac, je me suis murmuré dimanche, assis et quêtant des conseils pratiques auprès de Fanny Quément, que ça rejoignait aussi l‘une de mes ambitions secrètes : publier un livre dont chaque exemplaire serait différent. Ca peut dieu merci se faire avec le numérique, ça peut se faire aussi en customisant manuellement les exemplaires, comme ce que proposait l’auteure de Partir en 404 aujourd’hui au Monte en l’air.
 
Nous avions à disposition : des cartes routières, des guides automobiles, des cahiers d’écolier, des nuanciers de reliure vieux-siècle ; des scotchs ; des colles de couleurs ; des feutres avec et sans alcool ; des tampons avec des chiffres et des lettres, bas de casse et haut de casse, de divers corps. Et chacun un exemplaire de sa 404. Certains ont attaqué la couverture, en prenant soin de replacer ici et là les éléments du paratexte ; les mêmes ont fait des sculptures de papier, qu’ils ont fini par coller à l’intérieur du livre ; certains se sont créé eux mêmes une dédicace à coup de tampon ; Fanny a jaspé son exemplaire, en prenant pour cobayes d’autres titres acquis à vil prix à la librairie (pardon Liliane Giraudon).
 
Flash back : retour en 2015, à la sortie des Aventures du Dieu Maïs, de l’Argentin Washington Cucurto (aussi appelé « Cucu » à Buenos Aires), aussi éditeur pusiqu’il a créé Elisia Cartonera, qui fabrique des livres avec du papier recylé. Les couvertures sont intégralement dessinées et peintes à la main sur des cartonnages ramassés dans les rues par les « cartoneros » (le métier préexistait à la maison d’édition, et lui a donné son nom). Cucurto a été reconnu et lauré pour son œuvre sociale. Nous avons, en clin d‘œil et en hommage, et parce que ça nous démangeait les mains, publié en coéd avec la guêpe cartonnière, émanation française, une nouvelle de Cesar Aira, « Mil Gotas », qui imagine la Joconde se dissoudre goutte de peinture par goutte de peinture avant de fuguer du Louvre ! Pour le lancement commun des deux livres, le Lieu éphémère nous avait prêté sa salle et Viviana était venue avec son catalogue de revues proposer un atelier de fabrication de couvertures. C’était le soir d’une demi finale de Coupe d’Europe de football, France-Suisse, et à 23h, les footeux déchainés s’étaient jetés sur l’atelier pour plonger les mains dans les tubes de colle. Un des plus beaux souvenirs de la maison.
 
Je ne peux pas ne pas dire que parfois, ces ateliers ont été des nécessités dictées par des choix économiques : poser à la main un adhésif pour un titre pour réduire la facture de l’imprimeur (Annales anales), ou pour un code barre illisible, pour éviter des frais du distributeur : ainsi de l’Eloge poétique du lubrifiant, dont nous avons caressé 4 000 fois le dos, Louis, Boris, Camille, Clara, Jocelyn, Lotfi et moi, avant de le restituer aux entrepôts !
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