Aventures dans l’irréalité immédiate
(1935 ; Maurice Nadeau, trad. Marianne Sora, 1972)
Fasciné et terrorisé par le quotidien, le héros de ces aventures traque la réalité supérieure des cabinets de cire, des passages urbains ou souterrains, des coulisses de théâtre, comme autant de lieux offrant une trouée dans les apparences. Mais il ressent aussi ces déchirements du réel comme des chutes dans le vide. Comme Hardellet, Blecher, qui disait vouloir transposer la « démence à froid » de la peinture de Dali, fait ressentir la force de ces seuils où le sentiment du monde peut basculer et où les choses prennent un relief fantastique plus profond, dans un style rien moins qu’onirique et d’une prévision troublante presque torturante. Son expérience quasi clinique du décalage et de la profondeur va jusqu’à le faire douter de la vie même. On l’a rapproché de Bruno Schulz (lui aussi édité en France par Nadeau), pour l’évocation de l´enfance juive, des labyrinthes noirs du réel, et sa fascination pour les objets sans valeur.
Blecher
Blecher (Max ou Maurice), est né le 8 septembre 1909, dans le village moldave de Roman, en Roumanie. Il part à Paris faire médecine après ses études secondaires, mais il est atteint par la maladie de Pott, une forme de tuberculose de la colonne vertébrale inguérissable, qui l’oblige à partir au Berck, ville sanatorium, où les malades se promènent allongés dans des corsets en plâtre sur voitures à cheval. Après des détours en Suisse, au bord de la Mer noire et dans les Carpates, il rentre chez lui, entretenant, à la manière de Joë Bousquet, des amitiés épistolaires. Breton publie l’un de ses poèmes dans Le Surréalisme au service de la révolution. Salué par les avant-gardes, dont le jeune critique Ionesco (de deux mois son cadet), il meurt après dix ans de calvaire à l’âge de 29 ans, en laissant trois récits, dont La tanière éclairée et Cœurs cicatrisés, journal (inédit en français) du sanatorium à Berk.